lundi 21 avril 2008

Gazette de Paris #20

Papillon de Nuit


- Bonne journée.
- Bonne nuit.
- Merci.

Bonjour, ou bonsoir. Je ne sais plus. Je suis perdue. Le chauffeur de taxi n’a pas de doute, lui, il lit dans les petites poches sous mes yeux comme dans un livre ouvert : « bonne nuit ». Ça lui ferait presque plaisir cette fatigue qu’il déchiffre sur mon visage. Il se sent moins seul. On se regarde tous les deux et nous partageons la compassion de ceux qui travaillent la nuit.

Bonsoir à tous, il est 1h00.

Les bureaux, c’est comme les bords de mer. Je préfère quand il n’y a pas trop de soleil et que c’est désert. La nuit à la radio, je suis comme un poisson dans l’eau, un papillon de nuit, un papillon dans l'eau. Je suis juste un peu déçue, ni sable, ni galet, de toute façon j’ai oublié mon maillot. Les heures passent au rythme des vagues du flash info et des dépêches Afp que je prie désespérément de déferler.

Bonjour, il est 2h00.

La nuit, le challenge et les problèmes ne sont pas les mêmes. C’est la première fois que je manque de m’évanouir à la vue d’une machine à café cassée. Et quand je parle à l’antenne alors qu’il ne faut pas, que Xavier Bertrand frôle la promotion de ministre de l’éducation et que je trébuche sur les mots comme dans les escaliers du PP alors que je ne suis même pas bourrée, et bien ce n’est pas grave, puisque de toute façon vous n’écoutiez pas. Je serais même parfois tentée d’annoncer les Jeux Olymchique en Pine et de me présenter au prix de la meilleure contrepèterie.

Bonjour, il est 5h00.

- Vous vous levez ou vous allez vous coucher ?
- J’avoue que je ne sais plus très bien non plus. Vous avez qu’à faire un détour par le Baron, je viens de retrouver un ticket boisson dans la poche arrière de mon jean, et puis c’est à côté. En fait non, laissez tomber, on est déjà aujourd’hui et ma nuit va commencer.

Aujourd’hui, je me réveille à peine, je suis encore toute décoiffée, je coupe ma frange, je mets toutes les chances de mes côtés, au risque de dévoiler mes yeux cernés. Chez le coiffeur, à côté de moi un mec est là, avec son journal et un demi, tout le monde se fout de sa gueule, moi je me dis simplement qu’il a tout compris. Un peu plus tard, je fais la queue au supermarché, le couple devant achète un quart de litre de rouge, et ça, ça me fait carrément flipper. Comme s’il fallait dormir la nuit et vivre la journée, comme s’il fallait toujours faire les choses à moitié.

Et bien non, pas question. Ce soir, comme dit Célinette, on va aller zouker des mecs. Mais au bord de la piste de danse, c’est Transpotting le remake, j’ai beau ne pas prendre de drogue, j’ai l’impression d’être dans la peau de Mark Renton. Je file, comme mes collants après avoir trébuché. J’appelle un taxi, je sais d’avance que dans son regard, la compassion aura disparu, qu’il se doute que je n’enregistre pas les flashs en direct du Paris Paris, et que c’est lui qui m’a jeté un sort pour que je tombe dans les escaliers.


C’est la fin de ce flash… demain il fera 14˚ à Paris, 19˚à Marseille…. La matinée sera nuageuse et humide... il y aura bien quelques éclaircies au cours de la journée, mais elles seront timides...

lundi 14 avril 2008

Gazette de Paris #19

Ménage de printemps.




Elle ne court plus après personne, but herself, parce que c’est déjà bien assez fatigant comme ça. C’est un jour de fièvre, un jour de printemps, elle tente de desserrer l’étau autour de sa tête, histoire de passer un petit coup de balai, d’y faire du rangement. La tête s’échauffe, mais impossible de se coucher avant d’avoir tout ranger, les robes, les unes après les autres, la vaisselle, la casserole où les patates ont brûlé, les verres, les uns après les autres, les mots, les vrais et les faux amis, tout ne va pas pouvoir rentrer dans le cagibi, c’est sûr il va falloir jeter.

L’hémisphère droit se dit de ne pas tout bazarder, ne pas s’énerver, juste s’éloigner. Que le problème, ce n’est pas la méchanceté, ni le mal que certains peuvent porter. L’hémisphère droit doit s’éloigner puisque, parfois, le bien que vous lui voulez ne l’atteint tout simplement pas. Il veut arrêter d’attendre que tout le monde soit là, parce que sinon il n’avance pas.

L’hémisphère gauche décide de prendre l’air, de prendre ses jambes à son coup et de sortir de Paris, il fait du tri et retombe sur des souvenirs, tout un tiroir en est rempli, de visages étrangers et d’accents new-yorkais. Alors il se goinfre de bagels, devient accro au Starbucks et dans la nuit lorsqu’on lui murmure cette langue bien particulière, un court-circuit fait tout sauter et sous la couette il se met à hurler « God loves America ! »

Mais le cerveau tout entier a la migraine. Et malgré toutes les petites pilules de Nurofen il n’arrive pas à reprendre haleine. À défaut des gens, c’est avec les mots que ses neurones se sentent le plus à l’aise, il jette l’éponge et plonge dans ces vies écrites noir sur blanc, il s’identifie aux personnages de roman. C’est alors que tout devient lisse et fait sens pour un instant.

-J’ai souvent le sentiment que rien n’a d’importance. Ce sentiment n’est pas malheureux. Il est plutôt tranquille, calme. D’ailleurs c’est moins un sentiment qu’une évidence –une vérité de loin venue, une neige qui couvre presque tout.
-Pourquoi « presque tout » : qu’est-ce qui résiste à cette « vérité » ?
-Trois choses seulement trois. Ou plutôt une seule chose, la même entrevue dans ses trois états : solitude, silence, amour.


La tête est pleine, il faut faire de la place, un peu de vide. Une solitude bien propre ne lui pèsera sûrement pas. Ma mémoire va exploser, je vais en virer quelques images, me débarrasser de quelques connaissances qui ne sont qu’illusions, pas besoin de s’embarrasser, facebook est là pour ça, pour voir comme on brille bien en société. Autour de la mémoire vide, des dizaines de méninges ne se donnent pas la peine de décrocher, d’autres ne cessent de répéter : « Je suis débordée, overbookée, trop à la bourre, désolée... » Mais t’es surtout trop in, tu cours, t’as trop la classe, t’es sûrement hyper important comme cerveau...
Dommage, parce que toi, t’as pas le temps de faire le ménage.

Au regard du monde, les gens de pouvoir tiennent la place la plus haute. Au regard de l’esprit, ils occupent la place la plus basse et n’appellent que cette compassion que l’on éprouve devant les lourdes infirmités. (Christian Bobin)

mardi 8 avril 2008

La Gazette de Paris #18

T’as de la terre dans le nez


(Jan Dunning, http://a-dream-like-this.blogspot.com/search?updated-max=2008-03-12T13%3A53%3A00-07%3A00&max-results=7)


Il est 19h, je sors du « travail » et je stresse. Pourvu que le lavomatique soit encore ouvert. Le terre-à-terre m’a kidnappé, j’ai de la bouillasse dans la bouche, les yeux et le nez. Heureusement, y’a du soleil, l’air est doux, 1er avril, manquerait plus que je me tape une bonne grosse giboulée. Je vérifie, me contorsionne, mais non, je n’ai même pas de poisson collé dans le dos.

Ce matin, je ne suis pas levée depuis trois minutes, je commence par renverser mon bol de muesli aux fruits Monoprix. Pas facile de ne pas être face contre terre, lorsque, accroupie sur le carrelage, je joue de la balayette de si bon matin. J’essaie de faire preuve de beaucoup d’imagination, de faire preuve de force de caractère pour ne pas céder à la tentation, pour ne pas replonger direct sous la couette. Pas évident quand on a encore les yeux tous boursouflés de se mettre à rêver à toutes ces choses passionnantes que l’on peut faire dans une journée, alors que j’essaie de récupérer les petites noisettes et les pétales de corn-flakes éparpillés.

Allez hop, j’essaie, je me lance. Je me mets dans la situation d’un décor de ciné. Mon bosse me demande un lac, très grand, mais pas trop loin, les herbes hautes, mais pas trop, une forêt ambiance jardin d’Eden, des alentours vallonnés, et une route qui pourrait éventuellement serpenter. Bon. Je me demande si ça me fait rêver, si au paradis y’a des routes goudronnées. J’essaie de m’envoler, mais il faut se rendre à l’évidence, je ne fais que surfer sur google earth, et je ne peux tout simplement pas m’empêcher de me demander, est-ce que demain j’aurai des chaussettes propres, est-ce que mes petites culottes auront bien eu le temps de sécher?



Cette vie-là je la déteste, je la maudis. J’y échappe parfois. A ma grande surprise, quand je vais à Monoprix, acheter du pain et du café, comme si ma vie en dépendait. Et que je reviens avec un paquet de coton et des Danettes au chocolat, je me demande ce qu’il s’est
passé, où j’ai bien pu aller. Pendant quelques minutes, j’ai quitté la terre des produits de première nécessité. Quelques secondes j’ai pu profiter de la bulle douceur et futilité.

19:30, limite pour la dernière machine. Je mélange le blanc et les couleurs. Elle t’a pas appris ta mère ? Ben non, il est pas pareil son terre-à-terre à elle. Elle m’a foutu les mains dans la glaise ma mère, celle avec laquelle on fait des petits bonhommes, des vases et des boudins, avec laquelle on part dans un rêve. Alors ouais, je mélange le blanc et la couleur et je vous emmerde.

Le printemps, c’est capricieux et surprenant. Pluie et soleil alternent inlassablement comme s’ils se couraient après sans jamais pouvoir se rattraper, ils jouent avec ma sensibilité.
Soleil, le 2 avril Hilda est née, encore une qui a bien été obligée de quitter sa bulle pour la terre qu’elle va attaquer, forte de tous ses doigts de pied.
Pluie, je suis dans la rue c’est normal, je ne suis même pas fâchée, sûrement parce que le but de ma promenade est d’abord de m’acheter une paire de chaussure, mais aussi parce que j’ai tellement la gueule de bois que je compte sur ces trombes d’eau pour décongestionner mon cerveau embué.

Neige, il est 3 :46, j’ai bien rigolé, j’ai compté 946 pas sous les flocons de coton, c’est dimanche, le jour où les draps sont blancs et sentent bon, j’aime le bruit qu’ils font quand personne ne les a encore touchés, et finalement, j’aime le bruit de mes pas sur la terre enneigée.