dimanche 18 mai 2008

La Gazette de Paris #22

She’s lost control, AGAIN

On n’a pas toujours le contrôle de la situation, et là, c’est peu de le dire.
Je suis fatiguée. J’ai la tête qui tourne. L’impression de marcher tout le temps sur la pointe des pieds. Je rétablis l’équilibre de justesse, je me cogne aux murs, en même temps c’est pas mal, ça m’évite de tomber, et ça me permet d’avoir une idée, parfois un peu douloureuse, des limites de l’espace qui m’entoure. Les limites, je les sens particulièrement bien quand j’encastre mon genou dans le mur au moment de rentrer dans la cabine de douche. Ou quand je me fais cracher dessus.

- Pardon madame…
Moi, d’un air désabusé, je n’attends plus rien de cette journée :
- Vous pourriez quand même faire attention…
Lui, d’un air énervé, qui n’a déjà pas l’habitude de s’excuser :
- Hey, ça va, j’ai dit pardon, quoi.

La journée n’était pas assez pourrie comme ça, j’essuie mon bras. Il fallait que je croise la trajectoire d’un crachat, comme ça, inopinément, par accident, à l’insu de mon plein gré. Nous sommes vendredi soir, je n’ai pas envie de vous voir, moi aussi j’ai envie de cracher, sans raison, sur le premier qui passe, je vais me coucher.
Ce n’est qu’une semaine plus tard que je décide finalement de remettre le nez dehors. Je regarde à droite, à gauche, je cours, j’essaie de passer à travers les seaux d’eau qui déferlent au moment précis où je sors du métro, je me dis que je vais forcément prendre une crotte de pigeon sur le coin du nez. Mais non, je suis beaucoup trop classe pour ça. Je rends donc grâce à ce monde injuste et je me contente d’un verre de vodka tonic, jeté, par erreur, sur mon petit débardeur noir qui n’avait rien demandé, par un ami un peu perdu, sur qui je n’avais même pas craché… L’idée m’a bien traversé l’esprit de lui répondre par la réciproque, mais je trouve la tirade d’une originalité limitée, et puis surtout j’avais envie de boire, j’avais envie d’avoir enfin une raison de vaciller, d’avoir une raison de ne pas contrôler la situation.
Je fais quoi moi ? Je vais m’enfermer. Comme ça, il ne pourra plus rien m’arriver. Rien du tout, rien du tout. Parce que moi, ce que j’aime, c’est pouvoir avoir le choix, voire d’avoir le choix de ne pas l’avoir. Pouvoir choisir que ce garçon, dans le métro, mette ça main entre mes jambes, ou pas. Parce que, par exemple, ce jour-là, moi, je ne voulais pas.
Comment ça, je ne peux pas être indécise ? Choisir, croire avoir raison, me tromper, changer, et prendre un autre plat, un autre garçon. Je suis responsable, donc j’ai le choix.

- Justine, tu vas toujours au yoga ?
- Lequel de gars ?

La vie comme questionnaire à choix multiple. J’ai juste un peu peur de me planter entre A, B, C, ou D… En règle général, je voudrais qu’il se passe quelque chose, mais cette semaine, je prie simplement pour que plus rien n’arrive, pour récupérer le contrôle… and she turned around and took me by the hand and said, I’ve lost control again.

dimanche 4 mai 2008

La Gazette de Paris #21

Arrête ton cinéma

http://a-dream-like-this.blogspot.com/ Alex Prager

Juste au moment où je voudrais crier au monde entier d’arrêter de me frôler, de me bousculer. Au moment où je me demande s’il n’y a pas assez de place autour, au point où c’est à se demander si les gens n’ont pas besoin de se coller les uns aux autres, si c’est par peur du vide, par manque de chaleur qu’ils s’aimantent et recherchent le contact physique. C’est à ce moment-là, que le clochard du quai numéro 13 décide de se positionner à dix centimètres de la fermeture éclaire qui remonte jusqu’à mon menton. Ce n’est pas de sa faute, j’aurais crié de toutes les manières. J’avais déjà l’angoisse qui me montait au nez.

- Arrête ton cinéma.
- J’y vais.

Qu’est-ce que c’est bien la boîte toute noire. La boîte où l’on a le temps de penser la vie tranquillement, parce qu’elle est projetée et qu’on peut l’observer. On sait bien que c’est toujours beaucoup plus beau avec la distance de l’écran.

- J’aime bien aller seule au ciné. Quand je sors, pour une fois, je suis d’accord avec moi.

J’ai du mal à mettre un mot devant l’autre, j’ai les yeux au fond du trou. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est aller pleurer dans l'obscurité. Là, je dois vraiment être fatiguée, troisième bande annonce, je pleure déjà, pratique, il fait noir, je suis seule, tranquille, on ne me voit pas.

Aujourd’hui, il y a des jeunes, des vieilles, c’est chouette. Jusqu’à ce que la mamie derrière me demande de m’asseoir ailleurs, parce que je vais la gêner et dépasser de mon siège. J’ai failli lui demander si elle n’avait pas apporté son bottin, que si oui, elle savait où elle pouvait se le mettre, mais je pense quelques secondes aux respects des aînés, tout ça… Je me contente de la regarder avec mépris, de changer de place et de me dire qu’on ne peut vraiment pas être tranquille. Qu’est-ce que les gens sont cons, heureusement, comme dit papa, on n’est pas des gens.

Les Rolling Stones apparaissent à l’écran. Je suis un peu réconfortée. Hier encore, je lisais un article sur le rock français : « Ni sexe, ni drogue, juste du rock’n’roll ». J’ai honte. Quand je pense que dans les années 70, les filles se battaient pour arracher le costume en velours de Mick Jagger avec les dents, et qu’aujourd’hui, « Après le concert, pas d’orgies dans les loges, juste deux ou trois bières éclusées et quelques groupies n’osant pas franchir le pas. Epuisés, les BB Brunes se couchent tôt ». J’ai honte. C’est un peu comme si Pamela Des Barres, LE mythe de la groupie à elle toute seule, avait fait tout ça en vain. J’ai eu beau tenter de redonner tout son charme et ses lettres de noblesse au statut de groupie…, inconsciemment de perpétuer la tradition. Tout ça pour que des petites greluches n’osent même pas parler à des bébés rockers qui se couchent à 23 heures.

J’admire silencieusement les trois mamies de devant, je me mets à rêver, elles, c’étaient sûrement pas des mijaurées. Moi, de mon vivant, je m’engage par écrit à ne jamais devenir un "jeune bien élevé", et au moment de me réincarner, c’est sûr, ce sera en fauteuil de ciné, ou éventuellement en guitare de rock star, j’ai pas encore vraiment décidé…