dimanche 22 février 2009

La Gazette de Strasbourg #2

Rouge-bouche


(Alison Brady, a-dream-like-this.blogspot.com)

Le garçon ne veut pas embrasser le rouge sur sa bouche.

Elle lui dit : « Tu sais, on peut aller danser, d’ici là j’aurai sans doute tout mangé »

- Mais si je t’embrasse finalement ?
- Je partirais sans doute en courant.

L’enfant impatiente qui trépigne. Vexée de la moindre inattention, elle tape du pied et serait prête à arracher la tête de n’importe qui, comme elle faisait petite de celle de sa poupée quand elle n’arrivait pas à la coiffer.

C’est l’enfant qui met parfois son masque de méchante.
Amour sans condition et sans obligation de réciprocité.

Tout, tout de suite, l’enfant qui trépigne adore le son de ce mot.

J’aime aussi pneumatique et corridor. Mais ce que j’aime le plus encore,

C’est reculer pour mieux sauter.

Puisque de toute façon il suffit pour moi de fermer les yeux pour pouvoir t’embrasser.
Puisque jouir prend tellement de temps.
Autant fermer les yeux et y penser très fort sans rien tenter.

S’il te plaît. Invite-moi à danser.



J’ai mangé tout le rouge, j’entame les lèvres.
J’en arrache des petits morceaux avec les doigts.
Je m’en mords les lèvres et puis les doigts,
Puis l’intérieur de l’estomac, tralala.

dimanche 15 février 2009

La Gazette de Strasbourg #1


Éloge du sommeil et du temps perdu



La vierge m’avait déjà averti trois fois. Ça y est, elle m’a lâchement abandonnée, du moins c’est ce que j’ai cru lorsqu’elle est parti de son plein gré.

Je ne sais pas s’il faut que je le prenne pour moi, enfin tout de même, c’est vexant. Mais la vierge n’a plus la patience, la vierge se casse, la vierge t’emmerde, elle en a marre d’être prise pour un vulgaire porte-clef.

Il est probable que ce soit le bon dieu qui m’ait puni de ne pas croire en lui, ou au contraire qu’il ait pris pitié d’une virginité prolongée en dépit du fait que je ne serai plus pour lui à la fin de toute cette histoire qu’impureté et péché.

Je l’ai peut-être vexé à la messe de minuit. J’étais bourrée, soit, et accompagnée de ce qui se fait de mieux en termes de culture punk et alternative. Si bien que quand le curé a dit à ses brebis que tout le monde avait sa place dans la crèche, on a bien failli se retrouver à la place du petit Jésus. Enfin dans le meilleur des cas, car vous n’êtes pas sans savoir que dans le fond de la scène de la nativité, il y a aussi une vache.

Enfin, tout ça pour dire que plus personne ne me surveille. Le poids de la vierge dans ma poche a disparu, le temps est suspendu, je vais dormir le temps qu’il revienne, qu’il s’intéresse de nouveau à mon destin, et puisqu’on fait rarement les choses pour rien, je vais dormir et prendre des forces pour l’éternité.

Mais pendant que je décide désormais de vivre ma vie les yeux fermés (pas évident lorsqu’on va au boulot en vélo, et que, les moufles et le froid aidant, toute l’habileté de mon corps s’est réfugiée dans le pompon de mon bonnet). Alors que je croyais la vierge perdue sur un trottoir d’un bouge strasbourgeois, peut-être se vautrant même dans un caniveau, elle décide enfin de me parler.

- Est-ce que tu crois que dormir est une vraie solution…

Vous vous imaginez bien le ton qu’elle a la vierge, elle n’est pas énervée, le ton est posé, rond et maternel, à tel point qu’on croit simplement rêver. Mais non. Elle me réveille.

- Tu sais que tu n’auras déjà pas assez de toute une vie.

Ouais, c’est ça… manquerait plus que je ne la passe à rêver, à égarer la ville au fond de l’édredon et perdre les paysages au creux de l’oreiller… Je fais un effort surhumain pour soutenir le poids de mes paupières avant de succomber. Juste le temps de me dire que du canapé la vue est limitée, mais tout de même assez large pour savoir qu’il serait franchement stupide de sortir pour immortaliser la végétation gelée.

- Tu perds ton temps…
Elle ment. Tout le monde sait que rien ne vaut un bon cauchemar et ça repart. J’aime le temps perdu, celui qui ne sert à rien. Sûrement un élan anti-capitaliste qui me fait préférer la contre productivité. Et en ce moment je suis très très anti-capitaliste… Le seul intérêt pour moi dans le fait de me réveiller, c’est de me dire que je vais avoir le bonheur de pouvoir me rendormir.

Plus la vierge est en moi, plus elle s’insurge. Ses oreilles sifflent. Elle me suit même jusque dans mon lit. L’autre jour, on était trois, un peu à l’étroit. À moins que ça aussi je ne l’ai rêvé, il dit qu’il a été chercheur à la NASA, je ne sais pas pourquoi, personne ne me crois… Je m’étais dit qu’ainsi elle allait bien finir par s’en aller. Que le problème majeur, comme dit ma collègue Laurence, c’est que les garçons nous veulent tout simplement du bien, sinon, la vierge et moi, on aurait sans doute pu cohabiter.

- Tu as gagné.

Je crois que ça a marché.

- La question est de savoir si tu vas pouvoir continuer à profiter du temps perdu en toute impunité…

Je ne l’entends plus. Même « Au coin des pucelles » (où paradoxalement on mange de la très bonne choucroute), elle avait disparu.

Elle a dû comprendre que Justine Kennedy avait repris le dessus sur les résidus égarés de vierge effarouchée.

Plus de voix, je me sens seule parfois, mais je commence à reprendre avec moi de longues conversations, j’ai seulement crû pendant quelques mois que j’étais condamnée à cette chose si triste qu’est l’immaculée conception.