samedi 8 novembre 2008

La Gazette de Beyrouth #2

Justine ou le foyer de la sagesse



Le temps passe vite, quand on n’a pas le temps de le voir passer.

Par quoi commencer… par les mauvaises nouvelles, qui font déjà parties du passé. Je ne me suis pas du tout entendu avec le couple d’homos qui trouvaient rigolo de faire de la colocation… apparemment au bout d’une semaine, ils trouvaient ça beaucoup moins drôle les petits pédés, donc, j’ai dû dégager… C’est là que ma première expérience libanaise commence.

Qui aurait cru, patate crue, que je me retrouverais un jour dans un foyer de bonnes sœurs… ?

Pas mes parents, qui m’ont élevé dans le respect de la religion (enfin chez les autres, et encore), dans l’amour de son prochain (sauf si c’est un gros con, bien entendu), et quand même dans un franc mépris du clergé.

Pas non plus mes amis, qui savent que le péché pour moi n’existe pas, enfin en tout cas qu’il a une signification et une orthographe différentes, pour moi, c’est tout simplement un arbre fruitier.

Pas non plus l’abbé Tornade (chef d’un regroupement, genre scout, que je fréquentais pour faire de la rando étant jeune), qui avait bien capté que j’étais la seule à ne pas communier le matin au petit dèj, que j’essayais tout simplement de bouffer mon croissant en faisant le moins de bruit possible pendant que les autres crevaient de faim (forcément une hostie, ça ne nourrit pas son homme).

Justine ou« Le foyer de la sagesse ». Soyez francs, personne ne l’aurait cru.

J’y suis très bien, le couvre feu est à 23h30 en semaine, même mes parents ont rarement osé m’imposer ça… par contre, je suis un peu déçue, personne ne me fouette si je suis en retard… Les filles sont super sympas, même s’il y en a une qui a fait le signe de croix en me voyant arriver dans la cuisine, je n’ai pas su interpréter son geste, une vision de satan peut-être…

Bref, le boulot ça va…
- ça va !
- et la famille ça va ?
- et ta mère ?
- ça va !

J’ai appris l’origine du mot salamalec, qui vient de salamalekoum, bonjour en arabe. Ici, on en fait des salamalecs. Je suis peut-être tarte, tout au moins la seule qui n’avait pas encore compris, mais bon, je rentrerai moins sotte.

Le boulot, donc. J’ai repris l’émission culturelle du dimanche soir de la radio, « culture club ». Trente minutes de reportages, musique, le tout commenté par ma charmante voix, même que j’articule. Je fais tout, reportages, montage, commentaires articulés. Je suis très libre, tellement libre que ma bosse n’écoute pas, enfin, je crois pas… je ne la vois pas de toute façon… À partir de 15 heures, il n’y a plus personne à la radio, je suis souvent seule, vieux réflexe parisien.

Ma semaine se compose de festivals de cinéma, pièces de théâtre, musique, expos… Hier soir, j’ai revu « La graine et le mulet», en présence d’Abdellatif Kechiche. J’étais tellement émue que ma voix tremblait au moment où je l’ai remercié à la fin du film, et où je lui ai dit que j’étais émue, j’allais pas mentir, comme si ma voix ne suffisait pas, oui, j’avoue, j’ai bafouillé.

À part bouffer des petits-fours dans les soirées, je travaille aussi pour de vrai. Je suis même payée le salaire minimum libanais pour ça (200 dollars, je vous laisse faire le compte en euros). C’est le salon du livre à Beyrouth, je fais donc ce que j’aime le plus faire actuellement, lire des livres. C’est le pied, enfin, à part les nombreux bouquins pourris, c’est le pied.

Et puis, je mange du houmous, et puis je me promène pour éliminer le houmous. J’ai rejoint un groupe de rando avec lequel on n’est pas obligé de bouffer des hosties. Je suis allée voir des cèdres du Liban, je suis allée jusqu’en haut de la montagne, parce que quand j’étais plus petite, on ne s’arrêtait pas avant d’être vraiment en haut, pour enfin redescendre.

C’est Beyrouth. J’ai pris conscience de toute la dimension de cette expression dès mon voyage aller en avion, toute la familia embarquée pour la fin du ramadan, un vrai bordel. Mais je ne sais pas si je préfère la voiture à l’avion sachant que l’expression code de la route, elle, n’existe pas. Les panneaux existent, les feux rouges, les sens interdits et les sens uniques aussi, mais pas le code de la route… le but, passer le premier sans te faire démolir ta caisse… et pour ça tu klaxonnes, de manière presque discontinue… et tu regardes bien des deux côtés de la route avant de traverser, puisque le sens unique tu peux te le foutre au cul. Sans vouloir être vulgaire. Ce qui est certain, c’est que je préfère le taxi au bus. Le taxi, aussi appelé « service », c’est folklo. 2000 livres libanaises la course (1 euro), tu peux te retrouver à cinq, vu que le chauffeur ramasse tout ce qu’il peut sur le passage. Mais surtout l’avantage c’est que c’est rapide, parce qu’attendre le bus, c’est presque une expérience sociale. Femme blanche qui attend seule au bord d’une route = pute. Tout à l’heure, j’attendais le bus numéro deux, il y a quand même trois mecs qui se sont arrêtés pour me proposer de faire un petit tour dans leur Mercedes. J’étais ulcérée bien évidemment, moi, sœur Justine de la sagesse, le prochain qui fait ça, je lui crève ses pneus, sans déconner.

Voilà, je vais bien, la ville me plait, même si c’est super bruyant et très très très pollué, des fois, ça donne envie d’arrêter de respirer…mais j’évite.

Je vais faire ma prière et au lit.
Je vais boire une bière et au lit.